Artistes, écrivaines, informaticiennes, sportives, photographes, musiciennes, marins, scientifiques, circassiennes… Ces femmes qui s’accomplissent sur la route m’inspirent profondément. Dans VIAJERAS, je souhaite donner la parole à des voyageuses de différentes nationalités, milieux sociaux et générations pour présenter une large variété de situations unies par l’envie d’explorer et le dépassement des limites personnelles. Ne pas restreindre la notion du voyage à des filles jeunes et jolies, de milieu aisé – ou l’inverse – sinon montrer que l’esprit d’aventure peut se présenter à tout le monde, à n’importe quel âge, au delà des représentations communément faites. Je m’adresse aux futures voyageuses ; à celles qui ont déjà pris la route ; à toutes les personnes qui se sentent aventurières dans l’âme ; à toutes les personnes qui veulent comprendre la « folie » de voyager en solo ; à celles et ceux qui pensent qu’une femme ne devrait pas partir seule ; aux machistes ; aux personnes qui encouragent les autres à découvrir le monde. L’intention derrière la création de la série documentaire VIAJERAS est de vous emmener sur la route pour rencontrer ces aventurières des temps modernes. 

La première chose qui me vient à l’esprit en pensant aux voyages, c’est le déclic qui pousse à prendre la décision de partir. Il y a l’avant, l’après, et ce tumultueux moment d’entre deux, que j’appellerais l’impulsion. C’est l’un des thèmes que j’aborderai systématiquement dans les entretiens avec les voyageuses. Pourquoi de plus en plus de femmes laissent derrière elles leur carrière, leurs familles et leurs relations pour voyager ? Qu’est-ce qui les motive à partir seules vers l’inconnu ? 

          Choisir de voyager seule, c’est constamment repenser son conditionnement en tant que femme. À chaque nouveau pays, nous sommes confrontées à un nouvel ensemble de stéréotypes liés au genre féminin collé comme un code barre sur notre front. Nous pouvons bien nous habiller avec des pantalons longs et larges, des T-shirts couvrants, ou encore ne pas mettre pas de maquillage ; à partir du moment où nous sommes des femmes, nous subissons les idées reçues sur la sécurité et les mœurs attribuées aux femmes. Ces préjugés traversent les frontières et ils se matérialisent sous la forme de remarques qui se veulent bienveillantes, mais qui contribuent à marginaliser les voyageuses :

           « Pourquoi tu voyages pas avec ton copain ? » ; « Et ta famille ? » ; « Jamais je laisserais ma fille partir comme ça ! » ; « T’as pas peur ? » ; « Les voyageuses solo sont des filles qui voyagent pour coucher à droite à gauche en se faisant héberger gratuitement. » ; « Tu vas finir par te faire violer à force de te mettre dans des situations comme ça… »

Ces remarques sont – trop – fréquemment prononcées lorsque je raconte que je voyage seule par les gens qui croisent ma route, me prennent en stop, qui m’hébergent, par d’autres voyageurs ou encore par les proches à mon retour. Souvent, les personnes qui me parlent de la sorte n’ont pas conscience du caractère limitant de leurs paroles. Car dans beaucoup de sociétés, l’aventure, l’action, la liberté et la prise de risque sont des domaines attribués au masculin, tandis que la passivité, la prudence, la famille et la stabilité du foyer appartiennent au féminin. C’est l’éternel schéma de Pénélope qui attend sagement Ulysse à la maison tandis que celui-ci vit son Odyssée. Il est essentiel – pour le bien-être et l’épanouissement de la moitié féminine de l’humanité et l’évolution de tout le monde – de déconstruire ces stéréotypes en montrant des voyageuses dans leur réalité, sans fioritures sociétales ou morales et en dehors du point de vue masculin. Dans la série VIAJERAS, nous passons les idées reçues sur les voyageuses sous le rouleau destructeur de l’expérience. C’est pourquoi la question de l’affranchissement des femmes par rapport aux diktats sociaux est l’une des pistes qui sera explorée tout au long de la série. Les thèmes de la sécurité et de la défense personnelle seront également débattus au cours des échanges avec les voyageuses. Rencontrent-elles des problèmes sur leurs routes ? Comment y font-elles face ? Le danger vient-il du voyage ou du simple fait d’être une femme ? Comment se sentent-elles, en tant qu’aventurières hors normes dans des sociétés qui cherchent à les réifier, à les mettre en concurrence entre elles, et à les convaincre qu’elles sont vulnérables, pour paradoxalement les culpabiliser de méfaits d’autrui sur leur intégrité ?

          Un des thèmes centraux de la série VIAJERAS est l’évolution personnelle durant le voyage, notamment le développement d’une autosuffisance qui dépasse celle qu’on peut ressentir dans une vie rythmée par la société, ainsi qu’une plus grande ouverture aux autres et à leurs différences. C’est un sujet intrinsèquement lié aux modes de vie nomades. Comment voyager change-t-il notre rapport à nous-mêmes et au monde qui nous entoure ? Pourquoi le voyage est-il aussi dense en apprentissage ? À travers les récits des voyageuses, nous explorerons différents espaces d’expérimentations qu’offre la sortie de la zone de confort. Lorsque nous partons, le fait de ne rien savoir et de ne rien planifier nous ramène à un état d’esprit presque enfantin. En nous aventurant dans des endroits inconnus, la surprise quotidienne fait que nous vivons de nouveau avec audace, plaisir et malice. Il y a parfois des moments durs, de la solitude ou des mauvaises surprises et la personne qui part apprend également des difficultés rencontrées sur la route. Néanmoins, la vie nomade me paraît dans l’ensemble très appréciable et positive, dans le sens où je ne suis rien d’autre que mes envies et mon intuition, qui se développe de manière exponentielle, à l’image de mes compétences à communiquer et à m’adapter à de nouveaux environnements. Alors que je laisse derrière moi le masque social, toutes ces attentes d’autrui qui pèsent au-dessus de mes épaules ; que j’abandonne l’idée de pouvoir tout contrôler pour accepter l’imprévu ; que j’apprends à glisser dans le courant de la vie pour découvrir qui je suis réellement, en dehors de toute forme d’obligation ; je sens que je prends enfin une forme de contrôle sur ma vie. Et je ne suis pas seule : des milliers d’autres voyageuses et voyageurs se reconnaîtront dans ces mots. Au fil de la série, je souhaite transmettre ce sentiment de liberté, d’ouverture d’esprit et d’enrichissement personnel qu’expérimentent beaucoup d’autres femmes qui prennent la route.

          Bateau, train, avion, marche, vélo… Comment les voyageuses partent-elles ? VIAJERAS, c’est aussi la volonté de suivre des parcours uniques, d’aborder les questions pratiques derrière le rêve. Comment voyager si on n’a pas beaucoup d’économie ? Comment éviter de prendre l’avion ? Faut-il aller loin pour être dépaysé ? À quel rythme voyager ? Tant de problématiques se présentent à nous lorsqu’il s’agit de prendre la route, et il existe autant de réponses qu’il y a de voyageuses. Dans cette série documentaire, je souhaite présenter des chemins de vie singuliers, du défi et de l’aventure aussi bien à l’autre bout du monde qu’à la porte de chez soi. Démonter qu’avant d’être une destination ou une liste de choses à visiter et de cases à cocher, le voyage réside avant dans l’état d’esprit de la personne qui le vit.